• Napoléon 1
  • Cheramichniki
  • Comte Rostopchine
  • Les "cheramichniki" de la Grande Armée
    Je ne sais s'il s'agit d'un effet de ma présence prolongée en ces lieux ou de mon côté Saint-Bernard mais, ces derniers temps, dans le métro ou le trolleybus, j'ai été amené à plusieurs reprises à aider des touristes français égarés dans Saint-Pétersbourg et recherchant la personne secourable capable de les remettre sur le bon chemin.

    Ces touristes me font penser aux "cher-ami-manger-aujourd'hui" (en russe, Шерамищныки). Lorsque les troupes napolénienes quittèrent précipitamment Moscou en flamme, quelques soldats de la Grande Armée ont été oubliés dans l'immense ville. Il faut dire qu'à cette époque de l'année, en plein hiver, les communications étaient largement perturbées par les intempéries. Pauvres soldats et officiers, abandonnés dans le froid, affamés, condamnés pour survivre à mendier quelques croutons de pain face à une population hostile qui dut probablement en trucider quelques-uns.

    La retraite de Russie

    Pour la première fois l'aigle baissait la tête.
    Sombres jours ! l'empereur revenait lentement,
    Laissant derrière lui brûler Moscou fumant.
    Il neigeait. L'âpre hiver fondait en avalanche.
    Après la plaine blanche, une autre plaine blanche.
    On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau.
    Hier la grande armée, et maintenant troupeau.
    On ne distinguait plus les ailes ni le centre.
    Il neigeait. Les blessés s'abritaient dans le ventre
    Des chevaux morts; au seuil des bivouacs désolés,
    On voyait des clairons à leur poste gelé,
    Restés debouts, en selle et muets, blancs de givre,
    Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre.
    Boulets, mitraille, obus, mêlés aux flocons blancs,
    Pleuvaient; les grenadiers, surpris d'être tremblants,
    Marchaient pensifs, la glace à leur moustache grise.
    Il neigeait, il neigeait toujours ! La froide bise
    sifflait; sur le verglas, dans des lieux inconnus,
    On n'avait plus de pain et l'on allait pieds nus.
    Ce n'étaient plus des coeurs vivants, des gens de guerre, 
    C'était un rêve errant dans la brume, un mystère,
    Une procession d'ombres sur le ciel noir.
    La solitude vaste, épouvantable à voir,
    Partout apparaissait, muette vengeresse.
    Le ciel faisait sans bruit, avec la neige épaisse,
    Pour cette immense armée un immense linceul;
    Et chacun se sentant mourir, on était seul.
    Sortira-t-on de ce funeste empire ?
    Deux ennemis ! le czar, le nord. Le nord est pire.
    On jetait les canons pour brûler les affûts.
    Qui se couchait, mourait. Groupe morne et confus,
    Ils fuyaient; le désert dévorait le cortège.
    On pouvait, à des plis qui soulevaient la neige,
    Voir que des régiments s'étaient endormis là..

    Victor HUGO