HISTOIRE DE LA RUSSIE ET DE L’URSS

Tamara KONDRATIEVA - INSTITUT NATIONAL DES LANGUES ET CIVILISATIONS ORIENTALES

Accueil général I Introduction II Les sources III La Russie de Kiev IV La Russie de Kiev V Féodalités: tableau VI Avant la conquête mongole VII La conquête mongole VIII Formation de l'Etat russe IX A la fin du XVe siècle X Les réformes d'Ivan IV XI Le temps des troubles XII La réforme ecclésiastique XIII Au XVIIIe siècle XIV Pierre le Grand XV Industrie et commerce XVI Après Pierre le Grand XVII Sous Catherine II XVIII La transition XIX Mouvement révolutionnaire XX Crises et progrès-1 XXI Crises et progrès-2 XXII L'Etat et la Société XXIII Le phénomène stalinien XXIV Stalinisme et fascisme -

XV Les transformations dans le domaine industriel et commercial.

Nous avons remarqué le rôle dominant de l'Etat dans l'industrie rudimentaire et dans le commerce du XVIIe siècle. Aujourd'hui, nous allons étudier les réformes de Pierre le Grand afin de répondre à la question de savoir s'il réussit ou non à diminuer le rôle de l'Etat en faveur du capital privé.

En 1717, le même baron Luberas, originaire de Silésie, qui a préparé le projet de l'organisation collégiale de l'appareil d'Etat, envoie à Pierre un mémoire où il expose sa doctrine économique dont les points principaux sont le laisser-faire, le protectionnisme et le mercantilisme.

Je vous rappelle que le protectionnisme est une politique douanière qui vise à protéger l'économie nationale contre la concurrence étrangère. Le mercantilisme est une politique qui tend à procurer à l'Etat les moyens d'obtenir les richesses premières que sont l'or et l'argent.

Dans son mémoire, le baron Luberas s'élève contre la monopolisation de tout le commerce par l'Etat et prétend que sans la liberté des transactions et de l'initiative privée le commerce extérieur ne peut rapporter de bénéfices. Il conseille de créer un organe central chargé de surveiller l'exportation et l'importation, de fonder des comptoirs à l'étranger et de nommer des consuls commerciaux dans les grandes villes marchandes de l'Europe, Danzig, Copenhague, Lûbeck, Berlin, Amsterdam, Londres, Bordeaux, Cadix, Lisbonne, etc.

Il étudie les deux facteurs principaux dont "dépendent la prospérité et la richesse d'un pays » : la navigation et l'industrie. Et il conclut que la Russie, ne pouvant pas tirer grand profit de la navigation (à cause de la concurrence étrangère et de l'absence de ports aménagés), doit développer l'industrie. Car la Russie dispose de grandes richesses naturelles : le blé servira à la fabrication de l'eau-de-vie, le lin et le chanvre donneront les voiles et les câbles, les forêts fourniront la potasse, le goudron. la résine, l'élevage sera à la base de la production de la laine et du cuir, etc.

Tout en montrant à Pierre les désavantages de l'exportation des matières premières et le danger d'importer plus d'objets fabriqués qu'on en produit, il lui conseille de développer l'industrie. Il montre la nécessité, pour vivifier l'économie, d'obtenir des crédits de l'étranger, de créer un organe central chargé de surveiller les manufactures et les usines et de libérer l'initiative privée, c'est-à-dire de mettre en pratique le principe du "laisser-faire".

On voit bien que Le baron Luberas suggère à Pierre l'idée de diminuer le rôle de l'Etat dans les domaines industriel et commercial. Pierre, avec toute son énergie, s'empresse de suivre les conseils de l'économiste étranger. Dès 1715, il nomme des agents commerciaux à Paris et à Anvers. Dès 1716, il en nomme d'autres à Vienne, en 1719 à Cadix et en Chine, en 1723 à Liège et à Bordeaux. Il crée un organe central chargé du commerce : Kamerc-kollegija.

Dès 1719, le commerce intérieur libre l'emporte sur les monopoles d'Etat : par un ukaz, Pierre "faisant preuve de magnanimité à l'égard des commerçants de l'Etat russe", ordonne que deux sortes de marchandises seulement, la potasse et la résine, - et cela uniquement pour préserver les forêts - resteront monopoles d'Etat, et que chacun pourra vendre les autres marchandises jadis monopolisées, à condition d'acquitter des droits.

En 1717, il délivre les premières chartes autorisant l'ouverture de fabriques privées. L'introduction qui précède ces chartes devient bientôt le texte du "règlement" définitif du collège de l'industrie (manufaktur-kollegija, 1719). En fondant ce collège, Pierre déclare : "Pour le bien général et le profit de nos sujets, nous nous efforçons de favoriser dans notre Etat la classe commerçante et toutes sortes d'arts et métiers dont s'enrichissent tous les autres Etats bien organisés." Il déclare aussi qu'"il est indispensable d'encourager les industriels par des conseils, par la fourniture de machines, et par tous autres moyens." En conséquence, quiconque fondera une fabrique sera dégrevé de toutes les charges imposées par l'Etat ou les municipalités, recevra des subventions et des prêts sans intérêts. La vente de ses marchandises sera exonérée de toute taxe. En 1721, les fabricants et les usiniers, auxquels on étend les privilèges de la noblesse, sont autorisés à acquérir des propriétés et des serfs pour les besoins de leurs entreprises.

On trouve donc chez Pierre une intention hautement déclarée, celle d'enrichir son pays, de même que le faisaient les "pays bien organisés". Or, organiser la Russie à la manière d'autres pays s'est révélé une tâche difficile. La réalisation des projets de Pierre a rencontré d'innombrables difficultés dont la plupart n'ont pu être surmontées. Les projets les mieux conçus se heurtaient à des résistances qui les faisaient souvent échouer.

 

  XV Les transformations dans le domaine industriel et commercial.

Nous avons remarqué le rôle dominant de l'Etat dans l'industrie rudimentaire et dans le commerce du XVIIe siècle. Aujourd'hui, nous allons étudier les réformes de Pierre le Grand afin de répondre à la question de savoir s'il réussit ou non à diminuer le rôle de l'Etat en faveur du capital privé.

En 1717, le même baron Luberas, originaire de Silésie, qui a préparé le projet de l'organisation collégiale de l'appareil d'Etat, envoie à Pierre un mémoire où il expose sa doctrine économique dont les points principaux sont le laisser-faire, le protectionnisme et le mercantilisme.

Je vous rappelle que le protectionnisme est une politique douanière qui vise à protéger l'économie nationale contre la concurrence étrangère. Le mercantilisme est une politique qui tend à procurer à l'Etat les moyens d'obtenir les richesses premières que sont l'or et l'argent.

Dans son mémoire, le baron Luberas s'élève contre la monopolisation de tout le commerce par l'Etat et prétend que sans la liberté des transactions et de l'initiative privée le commerce extérieur ne peut rapporter de bénéfices. Il conseille de créer un organe central chargé de surveiller l'exportation et l'importation, de fonder des comptoirs à l'étranger et de nommer des consuls commerciaux dans les grandes villes marchandes de l'Europe, Danzig, Copenhague, Lûbeck, Berlin, Amsterdam, Londres, Bordeaux, Cadix, Lisbonne, etc.

Il étudie les deux facteurs principaux dont "dépendent la prospérité et la richesse d'un pays » : la navigation et l'industrie. Et il conclut que la Russie, ne pouvant pas tirer grand profit de la navigation (à cause de la concurrence étrangère et de l'absence de ports aménagés), doit développer l'industrie. Car la Russie dispose de grandes richesses naturelles : le blé servira à la fabrication de l'eau-de-vie, le lin et le chanvre donneront les voiles et les câbles, les forêts fourniront la potasse, le goudron. la résine, l'élevage sera à la base de la production de la laine et du cuir, etc.

Tout en montrant à Pierre les désavantages de l'exportation des matières premières et le danger d'importer plus d'objets fabriqués qu'on en produit, il lui conseille de développer l'industrie. Il montre la nécessité, pour vivifier l'économie, d'obtenir des crédits de l'étranger, de créer un organe central chargé de surveiller les manufactures et les usines et de libérer l'initiative privée, c'est-à-dire de mettre en pratique le principe du "laisser-faire".

On voit bien que Le baron Luberas suggère à Pierre l'idée de diminuer le rôle de l'Etat dans les domaines industriel et commercial. Pierre, avec toute son énergie, s'empresse de suivre les conseils de l'économiste étranger. Dès 1715, il nomme des agents commerciaux à Paris et à Anvers. Dès 1716, il en nomme d'autres à Vienne, en 1719 à Cadix et en Chine, en 1723 à Liège et à Bordeaux. Il crée un organe central chargé du commerce : Kamerc-kollegija.

Dès 1719, le commerce intérieur libre l'emporte sur les monopoles d'Etat : par un ukaz, Pierre "faisant preuve de magnanimité à l'égard des commerçants de l'Etat russe", ordonne que deux sortes de marchandises seulement, la potasse et la résine, - et cela uniquement pour préserver les forêts - resteront monopoles d'Etat, et que chacun pourra vendre les autres marchandises jadis monopolisées, à condition d'acquitter des droits.

En 1717, il délivre les premières chartes autorisant l'ouverture de fabriques privées. L'introduction qui précède ces chartes devient bientôt le texte du "règlement" définitif du collège de l'industrie (manufaktur-kollegija, 1719). En fondant ce collège, Pierre déclare : "Pour le bien général et le profit de nos sujets, nous nous efforçons de favoriser dans notre Etat la classe commerçante et toutes sortes d'arts et métiers dont s'enrichissent tous les autres Etats bien organisés." Il déclare aussi qu'"il est indispensable d'encourager les industriels par des conseils, par la fourniture de machines, et par tous autres moyens." En conséquence, quiconque fondera une fabrique sera dégrevé de toutes les charges imposées par l'Etat ou les municipalités, recevra des subventions et des prêts sans intérêts. La vente de ses marchandises sera exonérée de toute taxe. En 1721, les fabricants et les usiniers, auxquels on étend les privilèges de la noblesse, sont autorisés à acquérir des propriétés et des serfs pour les besoins de leurs entreprises.

On trouve donc chez Pierre une intention hautement déclarée, celle d'enrichir son pays, de même que le faisaient les "pays bien organisés". Or, organiser la Russie à la manière d'autres pays s'est révélé une tâche difficile. La réalisation des projets de Pierre a rencontré d'innombrables difficultés dont la plupart n'ont pu être surmontées. Les projets les mieux conçus se heurtaient à des résistances qui les faisaient souvent échouer.

Premièrement, ceux qui disposaient de l'argent ne voulaient pas investir dans l'industrie : les nobles répugnaient à se livrer à toute activité industrielle ou commerciale à cause de leur dignité. Les riches commerçants, artisans ou paysans, cherchant à acquérir une dignité, retenaient leur argent dans l'attente d'une occasion pour acheter un pomeste et de s'anoblir. En tout cas, ils se méfiaient de l'industrie et préféraient un bénéfice provenant d'un commerce traditionnel.

Résultat ? Après avoir lancé plusieurs appels, le Gouvernement fut obligé de prendre l'initiative lui-même. Il construisait des fabriques et des usines afin de les vendre par la suite aux personnes privées. Ainsi, il a forcé quatorze marchands à acheter des manufactures de drap, matière si nécessaire à l'armée. La réorganisation de l'armée demandait aussi beaucoup de fer et de cuivre, produits devenus déficitaires à cause de la rupture des rapports commerciaux avec la Suède, principal fournisseur de métaux. Alors, le Gouvernement a "convaincu" le baron Stroganov d'acheter une usine métallurgique en Oural. Trois autres usines ouraliennes furent vendues au marchand Vjazemskij et aux paysans Osokin et Demidov, enrichis par le commerce au XVIIe siècle. "Dans les affaires industrielles - conclut Pierre- il ne faut pas se contenter de faire des propositions, il convient d'user de la contrainte".

Pourtant, ni la politique de rigueur, ni les privilèges octroyés aux entrepreneurs n'ont donné les résultats attendus. Après la mort de Pierre, les "industriels malgré eux" s'empressent de fermer leurs entreprises. Sur les 150 fabriques fondées sous le règne de Pierre, beaucoup n'existent que sur le papier. Après sa mort, on devait rayer le nom de nombreuses personnes qui n'avaient pris l'engagement d'être fabricants que pour profiter des privilèges attachés à ce statut.

La deuxième difficulté d'organisation était due à l'absence d'une main d'oeuvre qualifiée et libre. Là aussi, Pierre fut obligé de recourir à la force; II attachait des paysans d'Etat aux usines en les transformant en serfs industriels. Deux nouvelles catégories de serfs ont ainsi fait leur apparition : les prescrits (pripisnye) et les possessionnels (possessionnye). Les premiers étaient attachés aux entreprises d'Etat tandis que les seconds étaient achetés par les personnes privées pour leurs fabriques ou leurs usines.

La cour de l'usine était entourée d'enceintes ; les ouvriers vivaient là où ils travaillaient. Au rez-de-chaussée se trouvaient des ateliers. A l'étage ou à côté il y avait les habitations des ouvriers. Les gardiens ne leur permettaient pas de sortir sans permission.

A la recherche d'ouvriers, Pierre imposait aux manufacturiers une main d'oeuvre pénale. Ainsi, l'ukaz de 1721 mettait tout coupable à la disposition du collège de l'industrie. Pierre utilisait largement l'armée pour contraindre les paysans d'Etat à travailler à la construction de forteresses, de canaux ou de la nouvelle capitale. Construire Saint-Pétersbourg dans un endroit marécageux lui a coûté trois millions de vies humaines. Les travaux forcés de cette envergure ne furent possibles que sous son règne.

La troisième difficulté était d'ordre technique. Par exemple, la fabrique de tapisserie construite par le célèbre Leblond, "un véritable prodige", que Pierre fit venir avec quatre artisans, après avoir admiré les Gobelins à Paris, n'a pu fonctionner normalement faute de laines convenables.

Enfin, nombre de difficultés d'organisation tenaient aux contradictions que contenaient certains ordres de Pierre. Ainsi, il fixa la largeur de la toile sans penser que les métiers à tisser réglementaires ne pouvaient rentrer dans les étroites izbas des paysans. Les contrevenants à cet ordre irréfléchi encourraient les travaux forcés ou la confiscation de leurs biens. Le résultat fut qu'une partie des tisserands fut ruinée.

Un autre exemple : soucieux de protéger chaque industrie nouvelle, Pierre ordonne des droits de douane fort lourds sur les marchandises étrangères similaires. Mais il fait lever ces droits avant même que les fabriques russes n'aient commencé à produire.

Nous avons déjà vu que le commerce intérieur libre l'emporta sur le monopole d'Etat et que chacun pouvait vendre les marchandises jadis monopolisées, à condition d'acquitter des droits. Or, il y avait des obstacles souvent insurmontables pour obtenir ces droits.

Pierre manifestait un grand enthousiasme pour les voies fluviales artificielles. Il voulait des canaux là où ils lui semblaient indispensables. La question de savoir si ces ouvrages pouvaient fonctionner dans les endroits qu'il avait choisis ne le préoccupe pas. Et quand les spécialistes invités de l'étranger osaient lui faire des objections sur cette question, il ne les écoutait pas. Ainsi, on creusa quelques canaux qui ne furent pas navigables.

Quelles conclusions peut-on tirer de l'activité fiévreuse de Pierre dans les domaines industriel et commercial ?

La plupart des innovations de Pierre ne réussirent pas. La Russie n'est pas encore prête pour une production industrielle de type occidental. Par contre, certaines industries qui existaient avant Pierre (arsenaux, fabriques de draps, mines, métallurgie) font, sous son règne, des progrès durables, bien que leurs produits soient médiocres et plus coûteux que les produits étrangers. Malgré les efforts de Pierre pour stimuler l'initiative privée, l'Etat reste le premier entrepreneur dans le domaine commercial. Les résultats sont plus substantiels grâce au tarifs protectionniste de 1724. En effet, ce qui caractérise la politique de Pierre, c'est une pratique encore plus ferme qu'au XVIIe siècle du protectionnisme et du mercantilisme.

Tout compte fait, il faut reconnaître qu'en faisant un effort pour développer l'industrie et le commerce, le Gouvernement de Pierre sapait les fondements de l'économies foncière. Il frayait de nouveaux chemins pour la Russie.

Modification des coutumes et des moeurs.

A son retour de l'étranger en 1698, Pierre introduit la mode étrangère parmi les personnes de son entourage. Il commence par couper les manches trop longues du costume bojar. En janvier 1700, un ukaz décrète que les boajre, les gens de services, tous les nobles ainsi que les fonctionnaires d'Etat doivent porter l'habit hongrois. Le caftan de dessus assez long pour atteindre la jarretière et celui de dessous plus court, de la même façon. Des modes de ces vêtements sont exposés aux portes de la ville où l'on fait payer aux contrevenants à l'ukaz une amende de 40 kopeks pour les piétons et d'un rouble pour les cavaliers. Pierre procède de même pour le port de la barbe, mais l'impôt dont il frappe les barbus est plus élevé.

Une autre réforme qui change les coutumes est la révision du calendrier. En décembre 1699, Pierre ordonne de compter les années non pas à partir de la création du monde, en 5 508 avant J.C, mais à partir de la naissance de Jésus-Christ, et de commencer l'année en janvier au lieu de septembre. Le 1er janvier 1700, il décrète que tous doivent décorer leurs portes avec des branches de sapin ou de pin selon les modèles exposés au grand marché, que tous doivent également échanger des voeux à l'occasion de la nouvelle année.

Les moeurs subissent de grands changements. Les innovations de Pierre concernaient jusqu'à l'institution la plus sacrée en Russie : la famille. Le tsar décréta les fiançailles obligatoires au moins pendant six mois avant le mariage. Durant cette période, les jeunes gens devaient se voir pour se connaître. On recommandait d'inviter les jeunes filles à dîner, d'organiser des rencontres et des bals pour qu'elles puissent se montrer et faire connaissance avec les jeunes hommes. L'émancipation de la femme, jusque là cloîtrée pendant toute sa vie entre les quatre murs de la maison, qui n'avait pas le droit, non seulement de choisir son fiancé, mais même de le voir avant le mariage, cette émancipation a bouleversé les moeurs russes. Pour être juste, il faut dire que ce n'était pas le statut de la femme ni son destin qui préoccupait Pierre. Le problème qu'il cherche à résoudre est ailleurs : comment augmenter le nombre des personnes imposables ? En rendant le mariage plus stable et plus fécond constituait peut-être un moyen.

Une autre mesure, dictée par les même soucis, interdisait aux Russes de porter et même de vendre les couteaux qu'ils utilisaient à l'occasion de la moindre bagarre. La loi qui contribua peut-être le plus à ôter les stigmates de la barbarie, fut l'interdiction de tuer les nouveaux nés qui présentaient des défauts physiques. Les premières pharmacies furent ouvertes. Une lutte contre les guérisseurs fut engagée qui allait jusqu'à la peine de mort pour ceux d'entre eux qui tuaient des patients du fait de leurs soins.

Toutes les réformes qui viennent d'être citées blessaient la sensibilité collective des Russes et provoquèrent la résistance farouche du peuple. A ses yeux, le tsar était un antéchrist. Les bruits les plus invraisemblables couraient sur sa nature diabolique. Une légende prétendait que le tsarevich Petr fut tué à la naissance et qu'on avait mis à sa place dans le berceau un autre enfant, fils d'une allemande. Une autre légende disait que le tsar Pierre fut tué en Allemagne au cours d’un voyage à l'étranger et que l'Antéchrist revint à sa place en Russie.

La noblesse était également hostile aux extravagances et aux contraintes imposées par Pierre. Le tsar n'était entouré que par un petit nombre d'amis qui avaient soif de connaître et de construire comme lui.

L'occidentalisation entreprise par le tsar réformateur a-t-elle dévié la Russie vers des voies qui n'étaient pas les siennes ? L'appel aux étrangers, l'imitation, au moins par une minorité dirigeante, des coutumes et des moeurs occidentales, ont-ils coupé les classes privilégiées du peuple gouverné? Il n'y a là qu'apparence. La mentalité des anciens bojare se perpétue chez les nobles du XVIIIe siècle, chez les dvorjane. Les rapports entre eux et les paysans n'ont guère varié. Pierre a réalisé le rêve des pomesciki de devenir les votcinniki à l'ancienne. La société russe reste toujours divisée en monde paysan et en monde de propriétaires terriens de type féodal. A cet égard, l'oeuvre de Pierre le Grand n'a fait que mettre une structure sociale ancienne au service d'un Etat modernisé.