l/ Les tentatives de conquérir un débouché sur la Baltique au XVIè siècle, notamment au cours de la guerre avec la Livonie, avaient échoué. Par contre, sur la côte de la mer Blanche, les Russes étaient les maîtres. En 1583, ils y fondèrent, avec l'aide des anglais, le port d'Arkhangelsk.
2/ A l'issu de la guerre du 1654-1667 contre la Pologne, la Russie a retenu définitivement la région de Smolensk.
3/ A partir de 1654, la Russie s'est agrandie de l'Ukraine de la rive gauche avec Kiev. L'union de l'Ukraine avec la Russie fut conclue par les Cosaques du Dniepr. C'est eux qui prirent l'initiative de libérer la Russie du Sud-Ouest (l'Ukraine et la Biéolorussie) de la domination polono-lituanienne établie depuis le XIVè siècle. La guerre pour la libération était terminée en 1667 par l'annexion de la rive gauche du Dniepr à la Russie.
4/ Au Sud-Est de Kiev, dans la zone de steppe qui s'étendait sur le bas Dniepr sur le Don et sur le Jaïk, vivaient les Cosaques. A l'origine, ils étaient des fuyards de la Russie du Sud-Ouest. Dans les steppes, hors des limites de l'Etat polono-lituanien, ils recherchaient la liberté. Le terme "cosaque" signifie en turc "libre". Pour la première fois, les sources mentionnent les Cosaques sous la date 1489. Les Cosaques vivaient de la chasse, de la cueillette, de la pêche et du butin que leur rapportaient des razzias du côté tatare (et du côté iranien). Dès le XVIe siècle le gouvernement russe les engageait à garder les frontières contre les incursions des Tatars de Crimée, en leur payant une solde en espèce, en blé et en armement. Des territoires des Cosaques furent incorporés à l'Etat moscovite, mais jouissaient de 1'autonomie.
5/ Au XVIIè siècle, on voit se peupler rapidement les régions au Sud de Moscou avec les villes de Kursk, Voronez, Tambov, Simbirsk. D'un côté le tsar y distribue des terres aux pomesciki, de l'autre, les paysans fugitifs du centre y affluent. A partir des années 70, les propriétaires commencent à transférer en masse les serfs d'autres régions dans les domaines reçus de l'Etat ou accaparés arbitrairement.
Dans le bassin de la Volga, les paysans russes voisinaient avec les populations autochtones, Tatars, Mordves, Tchouvaches, Maris. La colonisation russe s'y intensifie au XVIIe siècle en raison de la construction de la ligne fortifiée de Simbirsk. Le gouvernement y installe des hommes de service russes, leur distribue des terres, asservit les aborigènes. Le tsar s'appuie aussi sur l'autocratie locale, princes et mourzas tatars, qui se mettent à son service en échange de propriétés. La majeure partie de la population de la Volga dépend de l'Etat et paye le tribut (jassak) en fourrures.
Sur le cours inférieur de la Volga et plus à l'Est, le long du Jaïk, vivaient des nomades, Kalmouks et Nogaïs, devenus sujets de Russie. Les territoires des Cosaques de Jaïk ont été inclus dans la Russie mais jouissaient de l'autonomie. Au XVIIe siècle, la Russie comprenait également une petite portion du Caucase du Nord (Kabarda).
Dans les steppes orientales d'au-delà de la Volga s'étendait un vaste territoire peuplé de Bachkirs et faisant partie de la Russie depuis le milieu du XVIè siècle. Le gouvernement russe avait accordé aux Bachkirs des terres contre obligation de payer le jassak et de garder les frontières Est du pays.
Au XVIIè siècle, l'avance des Russes se poursuivit en Sibérie de l'Ob à l'Enissej et de là jusqu'à la Lena. En chemin, ils construisaient des bourgs fortifiés qui servaient de centres administratifs où se percevaient le jassak (Enisejsk 1619, Jakutsk 1632, Ohotsk 1649).
La mise en valeur de la Sibérie prend une grande importance pour l'économie nationale. Des paysans russes viennent s'y installer à la suite des militaires. La Sibérie occidentale devient finalement le foyer agricole de la contrée. Toutes les terres sibériennes, à l'exception des biens ecclésiastiques, appartiennent à l'Etat.
La condition paysanne
1497 – Sudebnik.
Le Code permit aux paysans de quitter la terre du seigneur une fois par
an, une semaine avant et une semaine après le jour de la Saint-Georges
d'automne (26 nov.). Il fixa le prix de franchise à payer au seigneur
pour la Saint-Georges.
1550 - Carskij sudebnik
En haussant le prix de la franchise à payer au seigneur pour la Saint-Georges,
le Code aggrava encore la dépendance du paysan.
1581 - Zapovednye leta
L'institution de ce qu'on appelle les "années d'interdiction"
(zapovednye leta). Cette année le gouvernement d'IVAN IV décide
dans quelques régions du pays d'interdire provisoirement le déplacement
des paysans et de révoquer 1'édit de la Saint-Georges. La
population des bourgades - des artisans, des petits marchands - se voit
également interdire le déplacement. Le gouvernement justifie
cette mesure par le recensement qui est effectivement entrepris à
la même époque. On recense les terres en vue de connaître
leur étendue, le degré de détérioration de l'économie
et d'établir une taxation plus stricte. Le recensement s'accompagne
d'une redistribution des propriétés à de nouveaux propriétaires
et de 1'enregistrement des paysans là où les trouvent les
agents du gouvernement.
Envisagée comme une mesure provisoire et territorialement limitée, 1'interdiction de déplacement se montre très avantageuse pour les propriétaires, ce qui incite le gouvernement à renouveler l'édit et à l'appliquer à tout le pays. En 1592-1593, les livres de recensement sont reconnus comme la preuve de l'attachement des paysans à la glèbe.
La paysannerie se voit donc enlever le dernier droit de disposer d'elle-même. D'où l'ironie amère du dicton né dans le peuple à cette époque : "Eh, voilà une bonne Saint-Georges !" Ce dicton est utilisé dans le langage de nos jours pour exprimer une profonde déception suite à de belles promesses.
1597 - Urocnye leta
Edit sur la recherche pendant cinq ans des paysans fuyards : "Tout
paysan qui s'est enfuit d'une propriété cinq ans avant "l'année
présente", doit y être ramené avec femme, enfants
et biens". Cette mesure a reçu le nom de "Urocnye leta"
(Années déterminées).
Pendant les années des troubles, sous la pression du mouvement des masses, le gouvernement révoqua plusieurs fois les édits sur "les années d'interdiction" ou les "années déterminées". Après les troubles il est revenu à la même pratique. Le droit de suite sur les fugitifs, limité à cinq ans en 1597, fut étendu à 10 ans en 1641, à 15 ans en 1647.
1649 - Sobornoe uloznie
Le servage (krenostnoe pravo) s'y trouve juridiquement instauré :
- Le Code fixe héréditairement les paysans sur leurs terres
;
- Il donne aux propriétaires le droit de rechercher leurs paysans
fugitifs sans délai.
Les kholopes
A la fin du XVIè siècle (en 1586, 1593, 1597), le gouvernement a promulgué une série d'édits concernant les kholopy. Le sens de ces documents était de modifier le statut des kholopy en leur proposant des emprunts (en terre, en argent, en grains, en outil etc.) qui les transformaient en paysans dépendants. Ainsi, nous observons au XVIIè siècle le rapprochement entre la condition paysanne et celle des kholopy. Ils ont une tendance à se confondre en se transformant en serfs. Une autre tendance, moins prononcée mais non sans conséquences importantes pour le futur, est l'intégration d'une partie des kholopy à la noblesse.
Les nobles
Les résultats de recensement de 1678 nous montrent jusqu'à quel point les propriétaires ont réussi à s'approprier la main d'oeuvre libre : sur 812 mille feux (dvor) imposés, seulement 11 % étaient ceux des gens de posad et des paysans libres (noirs). Le reste des recensés appartenait aux propriétaires : -67 % aux laïcs, -13 % aux ecclésiastiques, -9 % de la population imposée appartenait au tsar.
Les plus grands propriétaires terriens possédaient jusqu'à 8000 feux chacun. Par exemple : le Prince Vorotyniki en possédait 4609, le prince Saltykov 3019, le patriarche était propriétaire de 7000 feux. Le même chiffre pour la propriété de six métropolites : le monastère de la Trinité-Saint-Serge possédait 16813 feux.
Le tsar Mikhail Romanov et le tsar Aleksej Mikhajlovic distribuaient généreusement des terres à leurs serviteurs. Ainsi, les dvorjane reçurent beaucoup de terres en récompense de leur participation à la libération du pays en 1617, 1620 et en 1627. Les tsars continuaient à faire ces dons même après 1627, l'année où la décision de ne pas toucher au patrimoine foncier a été prise par le tsar lui-même et son gouvernement.
Une partie des pomesciki obtiennent des tsars les privilèges des votciniki. Ces nouveaux droits furent confirmés par des chartes. Une autre partie des pomesciki pratiquait la transmission héréditaire et même la vente des pomesciki - malgré l'interdiction juridique. Ainsi, au XVIIè siècle, surtout dans la seconde moitié, on cherche à confondre les votciniki et les pomesciki en un seul et même corps nobiliaire. Cette confusion n'est pas encore reconnue juridiquement mais dans la vie courante les pomesciki revendiquent les mêmes privilèges que les votciniki.
Vers le XVIIème siècle, sur la carte de l'Europe, on peut tracer une ligne approximative entre deux mondes agraires et cette ligne coïncide avec l'Elbe. En Allemagne, en Hongrie, en Bohème, en Pologne et en Russie, nous retrouvons partout la grande exploitation seigneuriale, organisée pour écouler une quantité considérable de produits agricoles.
Ce système utilise de plus en plus le travail corvéable des paysans, qui sont progressivement attachés au domaine et à la personne du maître et perdent même le droit à leur lot de terre, droit que leur reconnaissait jusque là la coutume médiévale. Par suite de cette évolution, le seigneur devient le propriétaire privé de toute la terre de son domaine et le propriétaire des âmes, c'est-à-dire des serfs, qu'il peut acheter et vendre sans terre. Ce type d'exploitation commence à apparaître nettement à partir du XVIè siècle. Mais on en discerne déjà certains traits dans la seconde moitié du XVème siècle (Pologne).
A l'Ouest de l'Elbe, le type de rapports agraires était profondément différent de celui qui régnait à l'Est. Le caractère économique le plus important de ce régime est que le seigneur soit ne possède pas de domaine propre, soit en possède un, mais de petites dimensions.
Vers la fin du Moyen-Age, dès le XIIIè siècle, en France et en Angleterre, la disparition de cette terre seigneuriale est un phénomène courant. Le seigneur tire son revenu principal non de l'exploitation de son domaine propre, mais des paiements en nature et en argent que lui font les paysans vivant sur le territoire de la seigneurie et qui sont, à titre divers, les tenanciers de la terre patrimoniale du seigneur. La corvée est généralement peu importante - quelques jours par an. De plus, elle est souvent remplacée par un paiement en argent ou en nature.
Il faut noter ici une autre différence considérable entre les rapports agraires de l'Ouest et de l'Est. A l'Ouest, les trois formes de dépendance du paysan par rapport au seigneur sont généralement réparties entre plusieurs personnes. Le paysan peut être tenancier de la terre d'un seigneur, dépendre d'un autre sur le plan personnel et d'un troisième sur le plan judiciaire et administratif. Il était parfois très difficile au paysan qui payait la rente de dire avec précision qui était son seigneur et dans quelle mesure l'était celui à qui il devait payer telle ou telle redevance. Il savait seulement qu'il avait une certaine somme à payer à telle personne, qui pouvait prouver son droit à la percevoir soit en référant à la coutume, soit même à un document.
A l'Est, au contraire, la concentration des trois formes de dépendance (personnelle, agraire et judiciaire) entre les mains d'une seule et même personne était une règle pratiquement sans exception. Seulement, les droits judiciaires des seigneurs passèrent partiellement à l'Etat centralisé.
A l'Ouest, vers le XVIIè siècle, le seigneur n'avait pas le droit de transférer un paysan d'un lopin de terre sur un autre, de modifier les conditions de tenure, ni même de chasser le paysan de sa terre si celui-ci payait la rente féodale. Si le seigneur voulait réunir la terre du tenancier à son propre domaine, il devait la racheter.
A l'Est, pour le propriétaire féodal du XVII-XVIIIè siècle, il ne faisait pas de doute que toute la terre lui appartenait de droit et qu'il pouvait par exemple transférer le paysan d'un lopin à un autre compte tenu de ses seuls besoins agricoles ou même par pur caprice, qu'il pouvait encore remplacer les redevances par la corvée ou bien l'inverse et même priver le paysan de sa terre et le transformer en domestique, ou enfin le vendre comme un bétail.
Cette situation existait également en Europe de l'Ouest au début et au milieu du Moyen-Age, mais on n'en trouve plus trace à la fin de cette période, car la plupart des paysans avaient alors acquis leur liberté individuelle. La différence que nous venons d'évoquer entre le régime agraire de l'Ouest et celui de l'Est de l'Europe est étroitement liée à la structure sociale et politique de la société.
L'agriculture
Ce qu'il faut noter, c'est la lenteur des progrès agricoles. Le système dominant est encore celui qui consiste à déplacer les cultures, après quelques années d'exploitation du sol, dans une zone de jachères dont la surface est plusieurs fois celle de la terre cultivée à un moment donné.
Dans ce système (pereloznaja), les déplacements de cultures se font dans un périmètre restreint, toujours le même : la terre est labourée avec un araire primitif et la jachère ne reçoit pas d'engrais. Toutefois, dans le centre, autour de Moscou, Jaroslavi', Tver', Vladimir, Kostroma, Niznij Novgorod, ainsi que dans le Nord-Ouest, autour de Novgorod et Pskov, régions plus peuplées, où les surfaces en jachère sont réduites par rapport aux surfaces cultivées et restent de moins en moins inexploitées, on pratique déjà un système d'assolement dans lequel la jachère reçoit des engrais et ne se repose plus qu'un an sur deux (parovajazemovaja). La culture est plus soignée; la charrue a fait son apparition. Mais d'une façon générale, les rendements sont faibles, les récoltes à la merci des moindres intempéries, et les progrès agricoles lents et localisés. Ils sont, de plus, loin d'être continus. Ils peuvent être stoppés et même détruits au cours de périodes de recul. Les remaniements autoritaires effectués par Ivan IV dans la répartition des pomestja et les troubles du début du XVII è siècle ont provoqué dans certaines régions le retour au système de cultures extensives.
L'artisanat
Les progrès techniques ne sont pas très notables, mais l'artisanat vit sa renaissance. Il se répand largement non seulement dans les villes, mais aussi à la campagne. Un trait particulier de l'artisanat dans les villes consiste à produire du pain, de l'alcool, des boissons, kvas par exemple, des pirojki, etc. C'est-à-dire que la moitié des artisans sont occupés dans un domaine qui ne nécessite pas de perfections techniques. Par contre, là où le progrès est indispensable, les outils et les méthodes de travail restent élémentaires. Selon le témoignage de Iurij Kprizamie, encyclopédiste croate, les menuisiers russes utilisent rarement la scie. Ils travaillent généralement à la hache.
Seule la production des objets de luxe (horlogerie, bijouterie, armurerie) connaît un développement considérable grâce à l'importation de main d'oeuvre étrangère. Les artisans, d'origine allemande, anglaise et hollandaise, sont engagés par le gouvernement à travailler dans les plus grandes villes. Ils sont organisés en corporations, ce qui les distingue de leurs confrères russes. A cette époque, les corporations, importantes en Occident en tant que forme de la vie sociale, n'existent pas en Russie. Si en Occident les artisans formaient une bourgeoisie riche et non sans influence, en Russie, ils étaient pauvres et considérés comme une couche inférieure de la population urbaine.
Dans la campagne, l'artisanat prend une place beaucoup plus importante qu'au siècle précédent car non seulement les professionnels y travaillent, mais aussi les paysans qui consacrent une partie de leur temps à la production des tissus, de la laine ou à d'autres travaux manuels. Les artisans sont concentrés dans les monastères. On les trouve dans les grandes votcina mais ils deviennent de plus en plus nombreux en tant que travailleurs indépendants qui produisent pour le marché.
Les industries
Elles se mettent en place sur l'initiative de l'Etat. Le gouvernement invite les entrepreneurs et spécialistes étrangers à construire des manufactures en Russie. Ainsi :
l/ En 1639, le suédois Kojet a construit une verrerie à 50 km de Moscou -Dukhaninskaja.
2/ Vers 1640, s'élèvent au Sud de Moscou, dans la région de Tula, les premières usines d'armement installées par les Hollandais Vinius et Marselis; timide essai pour limiter de coûteuses importations. Dans ces usines, il y avait 119 ouvriers dont 56 étaient des étrangers.
3/ Au milieu du siècle, apparaissent quelques usines métallurgiques en Oural et dans la région de Moscou. A la fin du siècle, le Danois Butenaute a construit une usine métallurgique dans la région d'Olonejc.
4/ A Arkhangelsk, à Kotmogory, à Vologda il y avait des ateliers où les Anglais et les Hollandais dirigeaient une production de câbles.
Quand ce n'était pas les entreprises installées et gérées par les étrangers, c'était les manufactures appartenant à l'Etat. Ainsi, à Moscou, on trouve quelques manufactures textiles dépendant du Palais (Kamovnyj dvor, Barhatnyi dvor, Pec'atnyj dvor, Monetnyj dvor, OruSejnyj dvor, Puspnyj dvor).
Enfin, existaient des entreprises créées par l'initiative privée. Elles étaient peu nombreuses mais elles existaient quand même. Citons quelques manufactures de cuir à Kazan, à Jaroslav et l'industrie du sel entre les mains des riches marchands Stroganov.
Les villes
Au milieu du XVIIè siècle, on comptait à peu près 254 villes. Il y avait peu de grandes villes. 500 feux c'est un chiffre moyen pour une ville. Moscou était une exception en ayant 27 000 feux. Si on compte 5 personnes par feux en moyenne, on obtient quelque 135 000 habitants pour Moscou. Ce chiffre est bien faible si on le compare à celui des cités importantes de l'Ouest européen, mais il est le signe incontestable du développement pour la Russie.
Le nombre des villes, dont le kreml' s'entoure d'un posad et de slobody peuplées d'artisans et de marchands, augmente. Le posad, intégré à la cité, devient la véritable ville. On y construit des rjaidy possédant des magasins, greniers, bâtiments commerciaux pour les gens du dehors (appelé le Gostinij dvor).
Malgré les incendies fréquents anéantissant des quartiers entiers, on continue à construire en bois. Mais là aussi il y a du progrès. Bien que les murs et les fortifications de pierre soit encore rares, les villes s'entourent de larges remparts de terre, de fossés profonds protégeant au-delà du krem' une population d'artisans. Citons à titre d'exemple Jaroslav', Vladimir, Niznij Novgorod.
Les cadres du marché russe
Au XVI siècle, l'économie domaniale, encore solidement installée (elle devait survivre en Russie jusqu'au XIX siècle), commence à révéler ses insuffisances. La votcina, (et plus encore le pomeste de dimensions plus réduites et d'économie moins diversifiée), ne peut plus vivre entièrement sur elle-même. Le goût des vêtements d'apparat, des armes ouvragées, des bijoux, que l'artisanat domanial n'était guère en mesure de fournir, se répand chez les nobles. Ceux-ci préfèrent au travail de leur gens, celui des artisans libres dont la qualification apparaît en général supérieure.
Le grand domaine commence à avoir besoin de la ville et la ville elle-même doit demander à la campagne environnante d'assurer son ravitaillement, de lui fournir les matières premières nécessaires au travail de ses artisans. Sans doute la campagne pénètre-t-elle encore largement la ville : à Pskov, à Novgorod, nombreux sont ceux qui cultivent un lopin de terre; à Tihvin, où il y a une des plus grande foire, presque chaque maison possède son potager. Mais le travail de la terre n'est plus pour l'habitant de la ville qu'un travail d'appoint, associé, subordonné à une activité artisanale ou commerçante.
Au moment où commence ainsi à s'ébaucher une certaine division du travail entre villes et campagnes, la paysannerie, attachée aux grands domaines, va se trouver contrainte de porter au marché une forte part de ses récoltes pour pouvoir payer ses redevances en argent.
Les voyageurs étrangers étaient frappés par l'abondance qui régnait sur les marchés russes. Pareille abondance devait rendre impossible l'écoulement des marchandises par vente directe du producteur au consommateur et susciter, tout naturellement, l'apparition d'intermédiaires professionnels, les marchands en gros (skupsciki). Cependant pour que l'intermédiaire puisse jouer son rôle, encore fallait-il qu'une division du travail s'établît entre régions comme elle tendait à le faire entre la ville et la campagne.
Or, on observe au XVIIe siècle une ébauche de spécialisation régionale, les différentes régions commençant à se consacrer plus particulièrement à une production déterminée, généralement en rapport avec leurs richesses naturelles.
La métallurgie se développe là où l'exploitation des gisements de minerai de fer ne requiert que des moyens techniques rudimentaires : dans les régions avoisinant la mer Blanche et le lac Onega, sur les rives du golfe de Finlande (il existait environ deux cents fourneaux sur l'étroite bande de territoire cédée par la Russie à la Suède lors de la paix en 1617); vers Novgorod, Tihvin, Beloozero, Ustuzna-Zelezopolskaja, et enfin au sud de Moscou, dans la région de Tual, Serpuhov, où l'on compte dès le milieu du XVI siècle plus de soixante forgerons sur deux cent quatre-vingt-six artisans. Le travail du cuivre se localise dans les villes où arrive le métal brut d'importation, à Novgorod, Pskov et Moscou.
La forêt donne naissance à un artisinat du bois d'une extrême diversité : fabrication de tonneaux à Vladimir, de vaisselle à Kaluga et Tver, de traîneaux à Vjazma, de bateaux à Vologda, Novgorod, Holmogory. Dans tout le Nord-Ouest, vers Novgorod, Pskov et Tikhvin, culture et travail du lin et du chanvre. Même activité à Smolensk, Mozajsk, Vjazma et Jaroslav', dont la toile, dit-on, est la meilleure de toute la Russie.
L'élevage se pratique un peu partout, d'où la diffusion du travail du cuir, de la production de viande et de suif. Cette dernière est cependant particulièrement importante dans les régions du centre, vers Mozajsk, et plus au Nord vers Kostroma, Vologda et Jaroslav, sans oublier la région de Novgorod, à l'est vers Kazan.
Les grandes zones de production de grain se trouvent situées dans la région de la Moyenne-Volga, vers Niznij-Novgorod, et au sud de Moscou, vers Orel, Voronez et Rjazan. Au cours de XVIIe siècle, la culture des céréales gagnera en extension dans les régions du Nord, vers Volodda et Velikij Ustjug en raison de la demande grandissante des régions de la mer Blanche et de la Sibérie.
Notons l'énorme importance de la pêche dans la région des lacs, sur les rives de la mer Blanche, sur la Volga.
En Sibérie et près de l'Oural, chasse aux animaux à fourrures. Excellentes terres à poterie, à Kolomna, Pskov et Smolensk
Rappelons enfin l'importance prise par l'exploitation des salines sur les côtes de la mer Blanche, dans la région de Tôtma, près de Novgorod, à Staraja Rusa, dans la région de Perm, à Sol Kamskaja sur la Basse-Volga.
En même temps qu'une certaine spécialisation s'accuse, l'assortiment des marchandises sur les marchés se fait plus divers et plus riche, témoignant à la fois de l'activité des échanges inter régionaux et du progrès de l'artisanat.
Les échanges avec l'extérieur, longtemps paralysés, connaissent une véritable renaissance. Au Nord, c'est le port d'Arkhangelsk, ce sont les villes frontières de transit, Pskov et Novgorod qui accueillent les produits fabriqués (armes, fer en lingots, métaux précieux, tissus, objets de luxe) venus de Scandinavie et d'Europe Occidentale, et qui expédient les produits de la terre et de la forêt russe tels que bois, goudron, potasse, cuir, suif, chanvre, lin, fourrures. Ce sont des marchands allemands ou suédois, des navires anglais et hollandais qui relient les négociants russes au monde extérieur. Les Russes, eux-mêmes, n'ont pas de marine marchande.
La prise de Kazan et de Astrhan (1552, 1556) avait enfin donné aux Russes le contrôle des routes qui menaient vers le Caucase et l'Iran. Par Kazan passait également la route de l'Oural, vers l'Asie Centrale où Boukhara était le centre commercial le plus important. Mais la mer Noire restait fermée pour les Russes, ses rivages septentrionaux étant parcourus par les tribus. Les rares caravanes reliaient par la Sibérie presque déserte la Chine et la Russie.
La demande extérieure accélère les échanges inter régionaux. Les liens noués entre les villes du centre et du Nord-Ouest s'étendent bientôt aux villes les plus éloignées. Le rayonnement de quelques centres s'élargit à l'échelle nationale. Deux ou même trois fois l'an, se tiennent en quelques points particulièrement importants pour la stratégie des échanges, de grandes foires où l'on vient de toute la Russie et parfois même de l'étranger. Il faut citer parmi les plus célèbres, celles d'Arkhangelsk, de Tikhvin, celles d'Irbit aux portes de la Sibérie. Près de Niznij Novgorod, sur la rive gauche de la Volga, se tenait chaque année, du 25 juillet au 25 août, la foire Makarevskaja, sous les murs du monastère Makharev Zeltovodskij. A Sol Vycegodskaja en été, c'est le Prokop'evskaja, foire aux fourrures où les marchands russes et anglais achètent aux indigènes de la Pecora et de l'Oural, les peaux de martres, de zibelines, de lynx et de lièvres blancs. Au printemps, c'est Alekseevskaja, foire la plus pittoresque ; on y vient tout à la fois pour y choisir sa fiancée et engager pour l'été les travailleurs agricoles et les haleurs qui assureront le transport du sel vers Ustjug et Vologda.
Qui s'occupe du commerce ? Un grand nombre de petits marchands, des paysans, des posadskie ljudi, des artisans. Et un petit nombre de grands marchands. On les appelle gosti. Ils sont organisés en corporations : Gosti, Gostinaja sotnja, Sukonnaja sotnja.
GOST' - est un titre donné par le gouvernement à certains riches marchands (environ 30 personnes au XVIIè siècle) en formant la catégorie supérieure. Chacun d'entre eux, ainsi privilégié, avait une charte du tsar le libérant du tjagio et lui octroyant le droit de sortir à l'étranger, d'acheter une votcina et d'être jugé par le tsar lui-même. Les Gosti élisaient leurs députés au Zemskij sobor. On les chargeait de différentes missions au profit de l'Etat : surveillance des douanes, commerce des marchandises que se réservait l'Etat, estimation des fourrures de Sibérie, collecte des taxes spéciales, opérations dont ils étaient responsables sur leurs biens et leur personne.
La Gostinaja Sotnja est une deuxième catégorie après celle des Gosti. Le gouvernement y inscrivait des marchands aisés du posad et des paysans. Leur nombre variable pouvait dépasser cent : 350 au XVIIè siècle Les membres de la G. S. avaient des privilèges et remplissaient des missions d'Etat moins importantes que celles confiées aux Gosti.
La Sukonnaja Sotnja est la troisième catégorie après celle des Gosti et de la G.S. Ses membres jouaient un rôle important dans le commerce intérieur, le commerce extérieur étant une prérogative des Gosti. Ils étaient exempts d'impôts et de redevances, non soumis à la justice locale. Mais ils ne pouvaient ni acheter une votcina, ni partir à l'étranger comme le faisaient les Gosti. Etant moins riches que les Gosti ou les membres de la G.S, ils se mettaient au service des marchands plus puissants.
Vous avez peut-être remarqué que les Gosti étaient au service de l'Etat. Quel rôle jouait l'Etat dans le commerce? Il était extrêmement important. Les importations étaient une nécessité; mais elles dépassaient en valeur les exportations de produits agricoles et devaient être payées en monnaie d'argent qui quittait le pays. La pénurie de numéraire, la simplicité des échanges étaient la grande faiblesse d'une Russie qui ne connaissait rien des pratiques financières déjà courantes en Occident.
Le gouvernement chercha, comme à l'Ouest, dans les recettes d'un mercantilisme adapté à la situation russe, le moyen d'assurer l'indépendance du pays en consolidant son pouvoir politique. L'Etat tirait la moitié de ses ressources des taxes sur l'alcool et des douanes ; il s'engageait lui-même dans la voie du commerce, instituant en 1662 son monopole sur quatre produits d'exportation : zibeline, potasse, goudron, chanvre, et exerçant un droit de préemption sur toute marchandise importée.
Conclusions
On ne trouve trace d'aucun capital gérant une production capitaliste dans la ville russe, aucun marché de main-d'oeuvre, aucune différenciation sociale notable au sein de la paysannerie dans le village russe. C'est pourquoi l'intensification du servage au XVIIè siècle doit être considérée comme une étape logique du développement des structures féodales en Russie, caractérisée du point de vue socio-économique, par l'extension et le renforcement de l'exploitation féodale, et du point de vue politique, par l'achèvement de la constitution d'un Etat russe centralisé, organisé sur une base féodale.