Je n’avais pourtant pas ménagé ma peine en enquêtant et interrogeant des membres de la Maison des officiers, du Club des marins, du Musée de la marine, que sais-je encore. Le fil qui nous reliait à Jeanne était devenu de plus en plus ténu car il ne restait plus aucune personne susceptible de conserver le souvenir de cette statue en bronze - Jeanne chevauchant un fier destrier et tenant une longue pique dans la main droite.
Je m'apprêtais à déposer les armes quand, par le plus grand des hasards – une signe du ciel, ce n’est pas possible autrement – je rencontrai Vladimir, une ancienne connaissance, qui m’assura avoir contemplé cette statue deux ans en arrière sur l’île même de Kronstadt !! Intrigué par cette guerrière caparaçonnée d’une armure, reléguée dans une cuisine, à demi cachée à côté d'un vieux réfrigérateur, il l’avait photographiée. Impossible ! illusion ! confusion ! puisque Jeanne d’Arc a disparu sans laisser de traces en 1929 lui rétorquai-je ! Le jour suivant, pour détruire mes certitudes, Vladimir me remit une photo couleur de la statue de notre héroïne nationale. Au verso, l’adresse de sa relégation ainsi que le numéro de téléphone. J’ai vérifié : non seulement elle se trouve bien à cet endroit à Kronstadt, mais n’aurait jamais quitté cet endroit depuis 1891 !!! Prochainement, j’ai rendez-rendez-vous avec Jeanne à Kronstadt. Rien que d’y penser, j’en suis tout feu tout flamme…
Heureux de notre découverte, éprouvant un immense soulagement, nous envisageons maintenant d’organiser une manifestation afin d’officialiser ces retrouvailles avec notre héroïne nationale. A l’avenir, chaque 1er mai, certains au regard méchant continueront à défiler rue de Rivoli à Paris, d’autres défileront peut-être avenue Sovietskaya à Kronstadt. A cette distance, il est improbable que les deux défilés puissent se croiser.
Kronstadt le 29 juillet 2006
(*) En vérité, l'ile se dénomme Kotlin et la partie urbaine s'appelle Kronstadt. Elle est située dans le golfe de Finlande à 25 km de Saint-Pétersbourg. Elle tient dans l’Histoire une place toute particulière car, en 1921, les marins et leurs familles se sont révoltés contre l’étouffement de la démocratie et des libertés par le parti communiste de Lénine. C’est Trotsky qui a été chargé des opérations de « nettoyage » de la place. Quelques centaines d’exécutions sans jugement et des milliers de déportations dans le goulag ont permis de rétablir une « bonne pratique de la démocratie » dans l’île. L’année 1921 ouvrait l’ère du « socialisme réel » pour ne le refermer qu’en 1991.