HISTOIRE DE LA RUSSIE ET DE L’URSS

Tamara KONDRATIEVA - INSTITUT NATIONAL DES LANGUES ET CIVILISATIONS ORIENTALES

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XXIII  A PROPOS DU PHENOMENE STALINIEN

Comment définir le stalinisme

1/Peut-on le définir comme une époque de terreur ? Le stalinisme s'identifie-t-il à la Grande Purge avec ses millions de morts ? Combien y en avait-il ? 5 millions, 10, 20 ou 30 millions ? Qui sait le chiffre exact ?

Ce que l’on sait, c'est que sous prétexte de lutter contre l’ennemi de classe, la machine du Parti-Etat a écrasé des innocents. (Cf. Soljénitsyne, L'Archipel du Goulag). On sait qu’au nombre des victimes figuraient des compagnons de lutte, des amis, des proches, même la femme de Staline, Nadezda Alleloueva. Elle s'est suicidée en novembre 1932, l'année la plus cruelle de la collectivisation. Les années de la Grande Purge (1935-1938) sont des année d'horreur également pour les communistes étrangers. Nul part un communiste en vue ne se trouvait à l'abri du NKVD (Narodny Komnmisariat Vnutrennikh) comme le prouvent les événements d'Espagne, les assassinats isolés de dignitaires soviétiques à l'étranger et enfin le sort qu’a connu Trotsky. (Cf. A. London, L'Aveu; J.Gorkin, L'assassinat de Trotsky, Paris, 1970; E.Poretski, Les nôtres, Paris, 1969).

N. Alleloueva poursuivait des études à l'Académie Industrielle, se spécialisant dans la branche textile. Elle entendait certainement de nombreux récits de la bouche des étudiants sur ce qui se passait dans les campagnes. Cf. N..Alleloueva, Vingt lettres à un ami, Paris - 1967; En une seule année, Paris, Laffont, 1969.

Oui, on peut définir le stalinisme par la terreur. Il s'identifie à la terreur qui a accompagné, non dans un temps d'exception, mais de manière continue, l'édification du régime soviétique. Mais cette définition n'est pas complète, les chiffres et les noms ne témoignent pas de l'atmosphère de psychose collective.

2) Peut-on alors le définir comme une époque de grande peur ? Le climat de complot dominait la vie des Soviétiques de haut en bas. Staline gouvernait le parti à partir de l’obsession de la conspiration. Son entourage en était contaminé. Les communistes de base se croyaient appartenir à un parti où tentaient de s’introduire sans cesse des éléments étrangers. Ils croyaient à un parti révolutionnaire constamment en train de lutter contre des ennemis de tous bords - "bandes trotskystes", «droitiers », "chiens enragés", "vipères lubriques". Les purges du parti - dont les premières remontent à 1919 - leur apparaissaient naturelles, nécessaires. Dans ces conditions, tout le monde, en haut et en bas, dans le parti ou en dehors de lui avait peur de la dénonciation. Une grande partie de cette peur était due à l'ignorance du Soviétique moyen qui ne savait où ni comment les décisions concernant sa vie étaient prises. C’était donc bien une époque de grande peur.

3) Peut-on le définir comme le règne d'un dictateur ou d'un despote ? Oui. Staline était le secrétaire Général du Comité Central du Parti, président du conseil des ministres, Généralissime des forces armées. Mais les fonctions exercées par Staline ne nous renseignent que partiellement sur le degré de sa puissance. Les historiens parlent de son pouvoir comme d'un pouvoir absolu qu'aucun dirigeant n'aurait jusqu'alors jamais eu dans l'histoire. Staline non seulement avait accumulé des pouvoirs inconnus jusque là, mais il s'était aussi, d'une façon bizarre, immiscé dans la vie de chacun, qu'il s'agisse d'une victime de sa persécution au d'un profiteur du régime. Même sous la tyrannie, l'individu en principe reste en mesure de conserver sa liberté intérieure. Mais sous la domination stalinienne, les âmes les plus indomptables et les plus sceptiques parmi les Soviétiques ne pouvaient pas ne pas être concernées d'une façon ou d'une autre par Staline et par ce qu'il représentait.

4) Alors, le stalinisme était-il une sorte de religion ? Peut-être. Quoique les idées communistes se prétendent une idéologie scientifique.

5) Peut-on définir le stalinisme comme une époque délimitée chronologiquement dans la vie des Soviétiques ? Souvent la définition du stalinisme se confond avec celle d'une période qui commence au moment où s'affirme pleinement l'autorité de Staline et se termine avec sa mort en 1953.

Les soviétologues s'accordent généralement à penser que c'est au cours de la Grande Purge de 1936-1938 que Staline a réussi à se débarrasser de ses derniers adversaires et à étendre son pouvoir quasiment sans faille Sur l'Etat et sur la société soviétique. Une telle définition se heurte à un obstacle : elle est impuissante a justifier le découpage de la période, parce que rien ne permet de considérer que la durées de la vie politique de Staline délimite une tranche d'histoire significative. La question qu'on se pose est la suivante : ou commence l'ère stalinienne ? A la mort de Lénine en 1924, dans les années 29-30, en 1934 ou plus tard, pendant la Grande Purge ? .De même, quand l'ère stalinienne se termine-t-elle ?

Après s'être interrogé sur la définition du stalinisme on peut dire qu'il est impossible de le qualifier de terreur, d'idéologie, de système de gouvernement ou de culte religieux. Le stalinisme était tout cela et plus encore. Le pouvoir politique sous Staline s'était métamorphosé en quelque chose de plus vaste et de plus élémentaire, quelque chose qui ne pouvait être exprimé par des chiffres (l'essor considérable de l'industrie soviétique, le nombre total des victimes des purges, des guerres et de la collectivisation, la quantité de terres et de peuples conquis par le communisme). Pour un soviétique, le stalinisme était un sort qu'on endurait parce que rien ne pouvait le remplacer.

Bref, on peu définir le stalinisme comme totalitarisme, terme du XXe siècle spécialement créé pour ce phénomène ainsi que pour le phénomène hitlérien.